Chanter pour les adultes, chanter pour les enfants : les deux faces d'une même médaille, la coque et les voiles d'un navire, le tronc et les feuilles d'un même arbre, l'intérieur et l'extérieur, le ying et le yang : en un mot, l'un ne va pas sans l'autre, et je suis heureux d'avoir développé ces deux versants, l'adret et l'ubac, même si ça me pose des problèmes énormes d'identité artiss'sstique.

Tout a commencé par un quiproquo : La Princesse Dorothée, chanson composée en 1973, était pour moi une fable « à la manière » des chansons pour enfants.  Mais le second degré a été pris au premier, et c'est devenu une vraie chanson pour les enfants. Le petit soldat et Le crabe vert sont nés de la même démarche. Il faut dire aussi qu'au début des années 70, les enfants avaient droit au Pont d'Avignon, et Frère Jacques : le répertoire était fort limité. Steve Waring, Henri Dès, Anne Sylvestre commençaient à apporter de l'air et de la matière neuve. Et à Névénoé (voir la rubrique chansons adultes !), on s'est dit : pourquoi pas une petite collection de 45 tours dans cette veine ?

Etape suivante : Michel Le Bris devient en 1983 directeur des programmes de France 3 Ouest, qui s'appela ensuite FR3 Bretagne. Sa fille écoutait en boucle La princesse Dorothée et Le crabe vert : Il fait appel à Patrick Ewen et à moi même pour créer une émission pour la jeunesse. Merlin Arkenciel était né, avec son générique foldingue. Nous combattons pendant trois ans le redoutable professeur Schinkenbutterbrot, et réussissons à faire échec à son ambition de devenir le maître du monde. Nous inventons de concert des dizaines de petits scénarios cocasses et déjantés. (D'ailleurs,  Les Nuls, apparus en 1987, nous doivent tout !...). Parallèlement, je crée avec Serge Danot (Le Manège enchanté) et Loïc Jouannigot (La famille Passiflore) une série pour le petit écran d'une douzaine de chansons illustrées : Dessine moi une chanson.

En 1987 , quand le service public nous signifie qu'il n'a plus besoin de nous, je propose de petits concerts dans les écoles, en attendant que mon répertoire « pas pour les enfants » reprenne de l'élan. Soyons honnête : j'ai pris des gamelles plus souvent qu'à mon tour. Et j'ai appris un nouveau métier, et au début souvent dans la douleur.  Mais c'est justement ce que j'apprécie avec ce public : il ne ment pas. Contrairement à un public adulte qui est capable, après trois rappels, de sortir de la salle en disant : « quelle barbe, c'était nul ! ».     

Mais voici que les chansons naissent, un album, de plus en plus de concerts, et  je me prends au jeu : je découvre les infinies possibilités de ce moyen d'expression. Et surtout, je me guéris de mon « besoin de sérieux », je cultive la légèreté,  je me mets à prendre garde à ces petites mélodies impromptues qui naissent dans ma tête et sont souvent porteuses d'images. Et me voici parti pour cultiver un nouveau jardin, qui va au fil des années devenir mon espace vital.

Et le plus chouette, Huguette, c'est qu'en même temps j'ai appris à jouer, à m'amuser, à faire confiance au jeune public… et à moi même.

Voilà : vous savez tout !