Chanson "Farine de froment, farine de blé noir (3 bigoudènes)"
issue de l'album "Hop là !"
Une chanson : Farine de froment farine de blé noir
En Bretagne, la crêpe (en Finistère) la galette (en Ille et Vilaine), font partie des principales traditions culinaires. Elles ont peu à peu envahi toute la planète, de Tokyo à Melbourne, de Capetown à San Diego. Et j'y suis un peu pour quelque chose, hé oui ! avec cette chanson Farine de froment farine de blé noir.
Quand j'étais enfant, j'allais de temps en temps passer des vacances à Morlaix chez ma grand mère paternelle, que j'appelais Mémée. Elle faisait une cuisine toute simple, pommes de terre, légumes, lard, pot au feu, artichauts. De temps en temps, elle faisait des crêpes. Mais attention, pas les crêpes qu'on trouve aujourd'hui dans les magasins ni dans les crêperies, même les meilleures. Pas non plus celles dont parle Per Jakez Hélias, qui étaient « fines, si fines, tellement fines … qu'elles n'avaient qu'un seul côté ». Non, des crêpes bien épaisses, et qui avaient un goût, mais un goût... unique ! C'était les années 50 et je suppose qu'elle achetait sa farine chez un petit producteur local, comme c'était encore la façon de faire avant les grands bouleversements de la distribution des années 60. Peut-être même qu'elle faisait elle même ses propres mélanges de farine. Et les œufs, bien sûr, venaient de ses poules. Pour la cuisson, elle enlevait la rondelle de la cuisinière à bois, et les crêpes doraient sur une bilig en fonte, posée directement sur le feu. Elle les chavirait dans l'assiette, constellées de petits volcans noircis qui éclataient de coulées de lave de beurre, beurre salé, comme de juste. Incomparab' !
Dans les années 90, je me suis étonné qu'il n'y ait en Bretagne aucune chanson sur les crêpes. Et voilà que je découvre ce bouquin : Les 7 mammgoz et la pâte à crêpe. Révélation ! Cette histoire de Bigoudènes qui vont à New York me court dans la tête, et au bout de quelques semaines, la chanson apparaît, sur une mélodie inspirée par une marche traditionnelle de bagad dont je ne connais pas le titre, et à laquelle je joins un petit « pont », comme on dit en musique, un changement soudain de la mélodie principale, qui correspond dans la dramaturgie à l'arrivée à New York. Et j'y intègre un petit refrain facile : Farine de froment farine de blé noir qui reprend le titre de l'histoire.
Une gwerz, en Bretagne, est une forme traditionnelle de composition de chanson. Le plus souvent elle relate un fait divers, dramatique la plupart du temps : viol, meurtre, spoliation etc. Le virtuose actuel en est le talentueux Denez Prigent, comme vous devez le savoir. J'ai donc raconté cette épopée moderne en utilisant ce principe de construction d'une gwerz : chaque couplet est un petit tableau. En cinéma on dirait : un plan. La succession des plans crée une histoire, sans qu'on ait besoin d'expliquer les séquences entre les plans. Mais bizarrement, je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite, et quand j'en ai pris conscience, je me suis dit que j'étais inconsciemment imprégné de culture bretonne, et... ça m'a réjoui !
A une exception près, Trois petits moutons, chaque fois que l'une de mes chansons a eu un succès au delà de la moyenne ( je veux dire de MA moyenne, histoire d'échelle !) j'ai eu le pressentiment qu'elle avait un avenir spécial. Et cette chanson m'a paru être sur cette trajectoire. Est-ce le thème, la structure, le refrain ? En tout cas, il ne se passe pas un mois sans qu'on me raconte qu'elle a été chantée lors d'une fête de famille, d'un concert d'école. Mais le plus souvent, mon nom n'apparaît même pas : il disparaît dans la tradition, ce qui est le signe à la fois merveilleux et... très frustrant d'un vrai succès populaire !
